C'est à peu près 120 piasses la tonne. Grosso modo c'est 80 si tu remplis ton pick-up. Ça, c'est pour la scrap scrap. Pour une scrap qui a de l'allure, c'est plus ou moins 4 piasses la livre. Cop, aluminium. Vous pouvez ben courir les poteaux. Moi, la scrap scrap, ça me plaît.

13.3.08

LETTRE À UN ÉCRIVAIN VIVANT : LOUIS HAMELIN


Missive adressée à Louis Hamelin
pour la rubrique « Lettre à un écrivain vivant »
d'une certaine revue

Masculin singulier

J’aurais pu faire le pied de grue pour obtenir un autographe de la célèbre Dominique Michel, mais je n’avais pas les moyens de m’offrir son autobiographie. Il faisait horriblement chaud, je n’avais pas voulu laisser mon manteau au vestiaire parce que je n’avais qu’une idée en tête : entrer et sortir. J’avais mon exemplaire de Sauvages sous la main et je me suis dirigée vers les kiosques de Boréal.

Derrière la petite table transformée en présentoir[1], Louis Hamelin m’attendait. Attendait quelqu’un, n’importe qui. Dans cette atmosphère de grand centre commercial, au Salon du livre de Montréal, en 2006. J’avais tout lu de lui. Je n’avais absolument rien à dire sur la littérature. Je voulais parler à un écrivain. Pas n’importe lequel.

Pourriez-vous signer à cet endroit, s’il vous plaît ?

Bien sûr, avant de faire ça, je lui ai dit bonjour, ça me fait plaisir de vous rencontrer, je lui ai serré la pince, etc. Les règles de la bienséance.

Pourquoi ?

Parce que c’est la nouvelle que je préfère.

Pour faire du genre je-suis-originale-et-je-ne-fais-pas-comme-les-autres, je lui ai demandé de poser sa griffe non pas sur une des pages liminaires, mais à la page 41 très exactement. En guise de signet, j’avais l’index planté dans le bouquin depuis une bonne demi-heure. J’étais toute prête, comme quand on prépare sa carte de guichet avant de passer à la caisse.

Ah oui ? L’indien ? Pour quelles raisons ?

Parce qu’il est attachant et… (moment d’hésitation) qu’on aurait le goût d’aller boire un verre et de jaser avec lui.

Est-ce que j’avais vraiment dit ça ? Il me regardait, attendant la suite. Décidément, je ne l’avais pas convaincu. Les gens qui parlent très peu ont souvent beaucoup de choses à dire. Et quand ça sort, watch out. Soit que ça sort comme un barrage qui cède, soit que ça sort tout croche. J’aurais voulu dire quelque chose d’intelligent, mais je venais de manquer ma chance. Si ma mémoire est bonne, j’ai répondu que l’indien avait un côté sauvage (imaginez) ou je ne sais pas quoi. Pour tout dire, c’est vague. Il s’est penché et s’est mis à remplir l’espace entourant le titre de la nouvelle. Wabush allait avoir de la compagnie.

Ça m’a pris du courage pour venir ici. Je n’aime pas trop les foules.

Sa calligraphie syncopée ne me permettait pas de lire à l’envers, mais j’ai su qu’il achevait sa missive quand il a signé son nom dans le coin inférieur droit. Si Louis Hamelin avait utilisé une plume à la hauteur de son talent, on aurait pu imaginer que ce fut une Meisterstuck Solitaire de Montblanc ou un Graf von Faber-Castell fait de bois rarissime. Il avait un simple et modeste Bic dans la main - le stylo-bille à corps transparent sur lequel on peut voir le niveau de l’encre - un stylo légendaire qui, mine de rien, semble dire : je ne suis pas tuable. Et je n’ai pas besoin de faire de fla-flas pour être singulier. Ne me demandez pas pourquoi, mais je n’étais pas étonnée.


Je l’écoutais sans l’entendre, trop occupé à penser : il te parle. Je n’étais rien à ses yeux, peut-être moins que rien en fait : une acheteuse potentielle ? Non. Je possédais déjà un exemplaire de son bouquin. Je l’avais acheté le jour même de sa sortie.

Avant de le lire, j’avais enlevé la jaquette et je l’avais rangé dans un tiroir par peur de l’abîmer. Et puis ça me tombe sur les nerfs, lire un bouquin coiffé de sa jaquette. Ça gêne la manipulation. Un livre, c’est fait pour être ouvert, plié, tordu par les muscles pronateurs quand il est lu d’une seule main. Un livre, c’est fait pour être charroyé dans un sac ou dans la poche d’un manteau. Un livre, dis-je, c’est fait pour s’attendrir dans les mains d’un lecteur. Il doit s’attendre à perdre son allure flambant neuf de jeune puceau fraîchement débarqué de la presse. Je ne parle pas de surligner des passages en jaune fluorescent ou de barbouiller des commentaires dans les marges, je parle de l’exposer, ventre ouvert, à la lumière du grand jour.

Bref, mon exemplaire avait mûri. Et j’en étais fière. Il faisait tache parmi ceux qui attendaient, à la queue leuleu, le Bic de l’écrivain. Dépouillé de sa jaquette, la couverture frisée et d’une blancheur douteuse, mon livre, ce jour-là, a serré la pince de son créateur.

Après l’avoir remercié, je suis repartie, gardant cette image d’un Louis Hamelin assis au milieu du centre commercial des livres de la Place Bonaventure, tenant boutique pour le premier venu, en 2006. Une image sauve, valant bien ses milles mots.





Sandra Gordon
[1] Inspiré d’un texte de Louis Hamelin « Les mots de la fin », Le Devoir, Livres, samedi le 23 février 2008, p.f-4.

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